La Crucifixion de Véronèse, 1584

À travers ce tableau, nous avons voulu interroger les rapports entre textile et peinture. Nous essayerons de comprendre la mystérieuse silhouette jaune est l'élément principal du tableau.

HISTOIRE

Paolo Caliari, dit Véronèse né en 1528 à Vérone et mort le 19 avril 1588 à Venise, est un grand peintre vénitien comme Tintoret et Titien. Il est réputé de son vivant et notamment pour être un grand coloriste. Il peint La Crucifixion, ou Le Calvaire, en 1584. Ce n’est pas la première fois qu’il peint ce sujet biblique, car il réalisera en 1582 La Crucifixion dans un style beaucoup moins épuré. Il choisira pour ces deux tableaux une composition particulière en diagonale décentrée, sur laquelle on reviendra plus tard, et qui se démarque des traditionnelles représentations frontales du Christ.

La Crucifixion ou Le Calvaire, 1584

La Crucifixion, 1582

La Crucifixion du Christ avec St Jean, Marie-Madeleine, Andreas et François, 15..

La crucifixion est un récit biblique aussi appelé le récit de la Passion. Dans l’évangile de Nicodème, le début de la passion est racontée ainsi : « Jésus sorti du prétoire accompagné des deux larrons. Lorsqu’ils furent sur place, on le dépouilla de ses vêtements, on le ceignit d’un linge et on lui posa une couronne d’épines sur la tête. »

Ce récit se compose de différentes étapes qui amènent Jésus à sa mort : son arrestation par Ponce Pilate, le chemin de croix jusqu’au mont Golgotha où il sera crucifié avec d’autres condamnés à mort. Ensuite, sa mort qui se déroule dans un cadre marqué par un rythme de 3 heures : Jésus est crucifié à la 3e heure, les ténèbres débutent à la 6e et la mort à la 9e.

Dans les représentations de la mort du Christ, l’attitude de Jésus n’est pas la même. On en relève  trois principales : Le Christ triomphant, la tête relevée, les yeux ouverts, le corps droit, du sang coule de ses plaies ; Le Christ résigné, la tête tournée, les yeux fermés, le visage comme un masque mortuaire, une pose sereine, un corps qui s’affaisse et des plaies encore sanguinolentes; le Christ souffrant, la tête baissée sur les épaules, les yeux fermés, un masque de douleur sur le visage, la bouche incurvée vers le bas, le corps tordu et déhanché qui laisse apparaître des muscles et des côtes saillantes.

COMPOSITION

Dans ce tableau on reconnait :

En haut a gauche on distingue Jésus et deux autres crucifiés. Dans le récit de la bible Jésus est crucifié en même temps que deux criminels. L’un deux, appelé le bon larron, est un homme qui respecte Jésus. Il lui demandera de se souvenir de lui dans son règne. Tandis que l’autre l’insulte.

En bas de la croix de Jésus se trouve Marie Madeleine éplorée. Elle est une des plus ferventes disciples de Jésus. Elle le suivra jusque dans ses derniers jours et elle sera la première à assister à sa résurrection avant même ses apôtres.

À sa droite Marie, la mère de Jésus, est évanouit et est soutenue par un homme et une femme. Cet homme est St Jean. Il est cité parmi les premiers apôtres de Jésus sur la liste des douze.

Tout à gauche du tableau, le bourreau regarde la scène appuyé sur son cheval.

La composition du tableau est en diagonale décentrée, ne mettant pas en avant le Christ crucifié au centre mais la silhouette jaune d’une femme. Il est d’ailleurs étonnant que le Christ ne soit pas au centre du tableau étant donné son titre.

La silhouette jaune se trouve au centre de la composition dans le sens où le regard est recentré sur cette femme. Un triangle est donc formé entre Jésus, la femme jaune et le bord en bas à gauche du tableau.

L’autre partie du tableau se constitue essentiellement du ciel. En bas à droite on aperçoit au loin la ville de Jérusalem et une procession de personnes qui se dirigent vers le Christ ou au contraire s’éloignent (nous n’avons pas de certitude).

LUMIÈRE

Le tableau est assez sombre mais des touches de lumières le structurent et permettent la circulation du regard selon un schéma précis.

On remarque cependant une sorte de passage entre l’obscurité et la lumière comme si les ténèbres arrivaient peu à peu et indiquaient à quel moment de la crucifixion se passe cette scène. On en déduit que la scène du tableau se déroule lors de la 6e heure.

 

Il y a ainsi deux grandes lignes directrices : la première va du Christ à la silhouette jaune et la seconde de la silhouette jaune à la Vierge Marie.  Il y a également des touches très fines et délicates de lumières sur les petits personnages de la procession. Et, la lumière est également importante dans le textile représenté car elle souligne et sublime les drapés des vêtements des personnages (femme en jaune, Christ et Marie).

 

De Jésus à la femme jaune il y a comme une lumière divine qui laisse présager une bonne nouvelle : annonciation de la résurrection.

Cette lumière accroche d’autant plus sur les textile : ce qui forme des points lumineux. Ce qui est étonnant ici c’est que l’auréole de Jésus passe presque inaperçue : elle est comme éteinte. Contrairement au pagne du Christ, appelé aussi Périzonium ou Saint Pagne, qui accroche la lumière.

COULEUR

L’ambiance du tableau est majoritairement sombre, cela tient à la gamme de couleurs principales : marron, vert, rouge foncé, bleu foncé. Le jaune lumineux du vêtement de la femme vient contrebalancer cette gamme et accroche le regard en mettant l’accent sur cette silhouette, symbole de la douleur. Cette couleur apparaît comme une tonique colorée : la couleur chaude est saturée et contraste avec l’ambiance froide et sombre du reste du tableau. Ce jaune ressort davantage grâce aux couleurs qui l’environne : le bleu du ciel et le rouge de la cape du personnage a coté, mettant en relation les couleurs primaires. De plus, ici le textile joue un rôle important dans la perception de cette couleur et par extension de cette silhouette mystérieuse.

TEXTILE

La silhouette jaune : le tissus accroche la lumière, la drapé permet la formation de lignes lumineuses qui ressortent davantage grâce aux contrastes formés par les zones d’ombre de ce drapé. Il paraît peser sur la silhouette, elle courbe le dos sous le poids de ce tissu qui l’enveloppe entièrement comme si elle était accablée de chagrin. On peut donc imaginer un tissu lourd comme le velours, d’autant plus que ce tissu prend très bien la lumière. Le textile ici apparaît comme une barrière, un masque impénétrable. Elle attire davantage le regard. On aperçoit uniquement les pieds, une main et un bout du visage de cette femme cachée. Peut être est ce une volonté de sa part de ne pas vouloir être vu ? Il existe une ambiguïté entre le fait qu’elle veut se cacher et le mystère qu’elle dégage qui attire l’attention.

 

Jésus : Le pagne de Jésus paraît beaucoup plus fin, on le voit à la transparence de la peinture et les plis formés. Ils sont moins imposants que ceux du tissu recouvrant la silhouette jaune. Mais le blanc de son pagne reflète la lumière.

 

Marie : Le manteau de la vierge est bleu foncé et sa robe est violette. Ses vêtements sont

sombres car elle porte le deuil de son fils. Le manteau de la vierge n’a pas toujours été bleu, pendant longtemps il a été noir ou dans des teintes sombre : gris, brun, violet, bleu foncé. Ce n’est que quand le ciel est devenu un de ses attributs qu’il est devenu officiellement bleu clair.

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