Histoire

Nous sommes devant une peinture à l’huile réalisée par Giovanni Calcar, peintre du 16e siècle, dans le contexte vénitien. Il s’agit plus précisément d’un portrait de l’avocat allemand et amateur d’art Melchior von Brauweiler. On y voit le personnage vêtu de noir, accoudé sur la colonne à sa droite. Sur cette colonne est fixé un blason. À gauche du tableau est représentée une fenêtre, à travers laquelle on distingue au premier plan une forêt, au second une ville et au dernier des montagnes.

À cette époque, les portraits sont à la mode ; Titien en est le maître le plus reconnu et Calcar est son élève, ce qui ressort évidement dans ce tableau. Melchior von Brauweiler y est représenté de trois quart et se détachant sur un fond neutre, comme dans les portraits officiels de Titien. Le personnage est vêtu somptueusement de noir et se trouve dans une position altière, la main sur la hanche et le coude appuyé sur la colonne aux inspirations antiques, le regard dans le vide. L’écusson lui appartenant est répété trois fois sur le tableau, une fois sur la colonne, une sur sa bague et l’autre sur son mouchoir. La finesse des mains nobles et du visage de Melchior von Brauweiler sont mises en avant grâce à la lumière venant de l’avant. Le tout donne un aspect solennel à ce portrait.

COMPOSITION

Le regard circule dans le triangle formé par les deux mains et le visage du personnage, tous les trois se détachant sur le vêtement noir. De petites touches plus claires, telles que le mouchoir, la dentelle autour des poignets et du cou, permettent de renforcer cette circulation triangulaire dans le tableau. On peut aussi détecter l’alignement du blason, de la tête et de la fenêtre. Une diagonale est créée par les couleurs similaires du mouchoir, en bas à gauche, et du paysage, en haut à droite.

La lumière

Les vêtements sombres du personnage se détachent particulièrement du fait qu’ils sont encadrés entre deux zones lumineuses : la colonne de marbre blanc fortement éclairée et le paysage de la fenêtre. Et inversement, le visage et les mains de Melchior von Brauweiler, bien éclairés, ressortent sur ces vêtements si sombres. La lumière qui éclaire le personnage vient de l’avant du tableau, légèrement décalée vers notre gauche. Giovanni Calmar joue de cette faible lumière qui tombe et se diffuse sur le costume, qui tantôt dévoile et tantôt masque les détails du textile...

Couleur

La couleur dominante du tableau reste le noir des vêtements et du fond ; et cependant des tons ocres sont présents de manière assez importante, se trouvant dans les éléments architecturaux, dans le bas du paysage, les cheveux et la barbe du personnage. Des touches de doré sont aussi disséminées dans le blason, les bagues et les écritures sur la colonne. On retrouve également des tons bleutés dans les montagnes lointaines du paysage. C’est au milieu de toutes ces nuances que se détachent les couleurs de la chair du personnage, faisant ainsi ressortir ses mains et son visage largement éclairés. On peut même comparer la texture des mains lisses et douces de ce personnage avec la texture de la colonne de marbre: il a des mains de marbre, et cette finesse est signe d’aristocratie... On peut également remarquer un contraste entre le paysage vu à travers la fenêtre et l’intérieur de la pièce où se trouve le personnage, donné par les couleurs, mais aussi par le flou du lointain et la précision du proche, de l’intérieur de la pièce; ce qui permet de créer une respiration dans ce tableau. Il s’agit certainement d’une vue de Venise: on distingue une ville au bord d’une large étendue d’eau, derrière laquelle se trouve un paysage de montagnes...

Textile

Nous allons maintenant nous pencher sur le costume du personnage. Il est composé d’un veston aux longues manches tombant dans le dos du personnage, sous lequel se trouve un autre vêtement aux manches bouffantes, le dernier élément est une culotte elle aussi bouffante. Nous pouvons également distinguer les sous-vêtements raffinés en dentelle, dépassant sur les poignets et le cou.

Dire simplement que le costume est noir est faux : il comprend de superbes nuances de noir, dont on peut citer le noir chaud tirant vers le bordeaux des manches, le noir bleuté, plus froid, du veston, et le noir plus intense, profond des motifs du veston. Ces noirs ont également une matière : le noir des manches est lisse et brillant, le noir du veston est lisse et mat, le noir des motifs est mat et opaque, le noir de l’épée est lisse et laqué... Il n’existe pas un noir, mais plutôt une infinité de noirs. Calcar joue de cette diversité des noirs, joue avec le ton sur ton, afin de donner l’impression au spectateur de pouvoir toucher ces textiles et de ressentir leur texture. Le peintre s’est servi des plis formés par l’étoffe pour renforcer cette perception des matières textiles : c’est un indice qui aide beaucoup à distinguer la nature des étoffes. La manière dont Calcar représente le textile, avec tous ses plis jouant sur l’ombre et la lumière, fait de l’étoffe quelque chose de sublime, et nul besoin de motifs pour qu’elle le soit...

Et pourquoi tout en noir, me direz vous ! et bien certainement parce que ce Melchior von Brauweiler est protestant (l’Allemagne étant majoritairement protestante).

Il s’agit d’un costume noble, réalisé dans différents textiles, qui ont chacun leur couleur et matière : les manches sont certainement en soie, remarquable par cette façon si particulière d’accrocher la lumière ; le veston est lui réalisé dans un tissu plus épais et moins brillant, peut-être de la laine, sur lequel se trouvent des motifs de velours ; la dentelle est traditionnellement en lin.

Nous pouvons relever des motifs sur le veston, réalisés en velours d’un noir profond. Il s’agit d’un motif floral, composé de volutes aux fortes évocations végétales.

La dentelle, présente à l’encolure et aux poignets de Melchior von Brauweiler, est un signe d’aristocratie : elle dépasse de sous ses vêtements (elle vient du linge de corps), ses plis et ses volants neigeux mettent en valeur la somptuosité austère des tissus d’habits. La dentelle était, à cette époque, un détail de luxe, très demandé et apprécié, qui était réservé à la bourgeoisie. C’est d’ailleurs à l’époque de la fabrication de ce tableau que la dentelle était sujette à un fort engouement, nourrit notamment par les marchands italiens ; l’atelier de Titien (rappelez-vous que c’est avec lui que Calcar s’est formé...) créait même des motifs de dentelle.

On peut soulever le fait que ce costume est très en lien avec Venise: on peut très bien imaginer que Melchior von Brauweiler l’y aurait acheté. En effet, il y a déjà le veston de velours : les meilleurs fabricants de velours sont persans et Venise sert de plate-forme au commerce venant d’Orient, ou alors ce velours a très bien pu être fabriqué à Venise même, au bord du Grand Canal, puisqu’elle a fini par s’approprier ce savoir-faire... On peut noter le fait que la valeur du velours était équivalente à celle de l’ivoire, et donc réservé à une certaine élite: le velours était fabriqué uniquement en soie, textile déjà précieux, mais en plus de cela, la fabrication du velours demande beaucoup de travail. En effet, le velours était fabriqué à la main, sur des métiers tisser, mais en plus la taille du poil était effectué aux ciseaux... Les motifs végétaux en délicates arabesques que l’on retrouve sur le veston du personnage sont eux aussi une tradition des velours perses. Rien qu’en regardant les vêtements de Melchior, le spectateur voyage...

Tous ces éléments font de ce costume un élément très raffiné, symbole de richesse...

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