Cette jarre iranienne a été trouvée à Suse.

Elle date approximativement du 8e siècle. Elle est décorée de motifs géométriques circulaires qui forment un relief sur la surface de l’objet. Sa couleur bleue-verte est due au glacis qui la recouvre et la rend imperméable. Le façonnage de cette jarre tient d’une technique antérieure au 7e siècle.

LA JARRE DANS L’ART ISLAMIQUE

Suse est l’un des plus importants sites archéologiques d’Iran, situé entre la Mésopotamie et la Perse, non loin de Babylone à l’ouest et de Persépolis au Sud-Est. Occupé de -4500 av. JC à 1500 ap. JC, le site est aujourd’hui riche en ressources pour les historiens, qui peuvent y étudier entre autre l’évolution de l’artisanat au fl des millénaires en croisant constamment leurs découvertes avec les connaissances historiques qu’ils ont de cette zone géographique.

Malheureusement, cette richesse a été amoindrie par les fouilles bibliques effectuées au détriment de l’art islamique car ces dernières ont orchestré des perturbations dans les couches géologiques qui précarisent les datations supposées des pièces retrouvées.

Néanmoins après des dizaines d’années de recherches, on parvient aujourd’hui à établir une stratigraphie relativement fiable pour la céramique, qui représente un pan très important de l’art islamique, c’est-à-dire de l’art développé sur un large territoire s’étendant de l’Espagne jusqu’à l’Inde et peuplé par des civilisations de culture islamique.

Il convient de préciser que la céramique islamique se caractérise par une certaine homogénéité sur l’ensemble de l’immense territoire où elle est produite et ce grâce à un grand dynamisme d’échanges et de commerce. Ainsi font-elles toutes preuves d’une remarquable technicité de la production de la pâte à la pose de l’émail en passant par le façonnage. De même les décors de la céramique islamique sont liés par une certaine unité de couleurs, de motifs et témoignent d’une esthétique singulière et très recherchée.

La France est chanceuse d’avoir aujourd’hui l’une des plus vastes collections de céramiques islamiques conservées au musée du Louvre, suite aux fouilles effectuées sur le site de Suse vers la moitié du 19e siècle. Là ont été trouvées quelques 2000 pièces dont la concentration s’explique par l’emplacement stratégique qu’occupait le site de Suse à l’époque.

En effet, carrefour du commerce de la soie et du sucre, le lieu voyait transiter la marchandise dans des récipients de transport en céramique qui servaient également au stockage des denrées, des textiles et de l’eau.

C’est pourquoi nous avons trouvé intéressant de retenir parmi toutes les pièces exposées au Louvre une jarre de stockage représentative du rôle souvent utilitaire des céramiques produites à l’époque.

On estime qu’elle remonte approximativement au 8e siècle, c’est-à dire qu’elle aurait été produite sous la dynastie des Omeyyades qui régnait alors sur le monde musulman. À cette époque, les pièces sont fabriquées avec les techniques acquises les siècles passés. Ainsi la plupart sont en pâte argileuse, une pâte assez plastique agrémentée de chamotte, de morceaux de paille ou autre dégraissant minéral ou végétal. Cela témoigne déjà d’une certaine maîtrise de la terre puisque les dégraissants utilisés sont soigneusement choisis pour augmenter la qualité de la terre une fois cuite et conférer la plus grande solidité possible aux productions. En outre la connaissance de différentes techniques de façonnages, de décors et d’engobes permet des combinaisons infinies à l’origine de pièces très variées. Jarres, marmites, bols et autres récipients rivalisent d’ingénuité et fascinent par leur finition. Les décors incisés jouxtent des motifs estampés ou posés à la douille, sur ou sous des engobes qui participent du lustre de l’objet, tandis que des glaçures viennent vitrifier (imperméabiliser) ces céramiques utilitaires et leur donner des teintes variées par adjonction d’oxydes métalliques colorants. Les pièces sont façonnées de différentes manières dont les deux principales sont le montage au colombin ou le tournage à vitesse moyenne.

La jarre présentée est un exemple probant du degré de sophistication de la céramique de l’époque.

En effet, bien qu’elle ait été réalisée en partie selon des techniques antérieures à la conquête arabe et s’inscrive ainsi dans une tradition ancienne de glaçure iranienne, elle n’en est pas moins un riche témoin de la maîtrise incroyable des artisans céramistes de l’époque. Son relief laisse penser, malgré un manque d’homogénéité de la pâte, que le bas de la pièce a été façonné au tour avant d’être achevée au colombin très fin. En outre, son épaisseur n’excède pas les 6 mm ce qui est relativement fin pour l’époque. Les motifs sont réalisés avec différentes méthodes et son revêtement gris-vert témoigne d’une glaçure réalisée à l’oxyde de plomb qui nécessite une cuisson à haute température.

Nous allons maintenant vous entretenir plus en détail de ces motifs et de la technique de la glaçure qui méritent d’être envisagés de manière plus approfondie.

TECHNIQUE DE DÉCORATION ET ANALYSE DU MOTIF

Le motif appliqué sur cette jarre est composé de signes géométriques, comme les spirales ou les points, qui dessinent un motif répété trois fois sur la jarre.

La simplicité des formes et leur organisation quasi mathématique donnent à l’ensemble une sobriété et une harmonie sans pareil.

Le décor céramique repose toujours sur les trois même fondamentaux : l’ajout, le retrait, le déplacement.

Ici, le motif à été ajouté et estampé à l’aide de tampons en bois.

Afin de réaliser ce décor de cercles appliqués, le potier se munissait d’une poche à douille remplie de barbotine épaisse, qu’il utilisait pour dessiner sur l’objet et ainsi créer ces motifs en relief.

La géométrie et la symétrie sont très importantes dans le travail de l’artiste, et bien que la jarre soit pré-islamique on ne relève aucun dessin a priori figuratif sur l’objet que nous étudions. Cependant, ces formes géométriques et rondes organisées en symétrie impaire font allusion à l’ancien thème oriental de l’Arbre de Vie. En effet, ce thème qui porte le symbole de l’oasis, de la connaissance, de la vie et du ressourcement n’est pas anodin car il est inscrit sur un contenant ayant pour fonction de conserver la nourriture en zone aride, et de pouvoir la transporter avec soi. Ce thème se fera de plus en plus présent dans les siècles suivants, l’art islamique interdisant toute représentation humaine.

LA GLAçURE

Cette glaçure qui est un modèle hérité des Sassanides utilise un fondant alcalin calcaire, elle est en monochrome bleu turquoise. Ce qui la rend si particulière est qu’elle provient d’une longue tradition technique iranienne bien antérieure à la conquête arabe du 7e siècle. La production de céramiques à glaçure ne s’interrompt pas brusquement avec l’arrivée de l’Islam, mais au contraire se poursuit durant un certain temps. C’est pourquoi on connaît des jarres et des amphores produites vraisemblablement après la conquête, mais qui conservent les anciens modèles.

La glaçure est une couche brillante posée avant cuisson sur la pâte ou l’engobe, qui imperméabilise l’objet et peut participer à sa décoration.

Elle peut être posée au pinceau, ou appliquée par coulure ou immersion.

Elle a une composition qui est proche du verre ; on distingue deux grands types de glaçures selon le fondant utilisé : la glaçure plombifère (fondant : oxyde de plomb) et la glaçure alcaline (fondant : soude). Pour l’opacifier, on ajoute le plus souvent de l’oxyde d’étain (couleur blanche), ou parfois de l’oxyde d’antimoine (jaune). Des oxydes métalliques peuvent être utilisés comme colorants : le cobalt pour le bleu, le cuivre pour le vert et le turquoise.

D’un point de vue décoratif, ces pièces sont couvertes d’une glaçure monochrome, le plus souvent jaune ou verte.

Des pièces à décor moulé sous glaçure, notamment des navettes, forme qui traduit l’exemple sassanide, ont été également retrouvées. Parfois, le moulage permet de créer une cloison entre les glaçures, qui ainsi ne fondent pas. Une dernière technique employée avec la glaçure est l’utilisation de celle-ci pour créer des motifs, comme des pseudo-épigraphies notamment.

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