Ce tableau s'intitule « Couple mythologique » il a été réalisé vers 1540 par Bordon, peintre mondain très en vogue à Venise au 16e siècle. L'auteur peint un portrait de personnages mythologiques dont l'identification demeure incertaine. Nous pouvons donc y voir au premier abord un couple de figures humaines (homme et femme).

Paris Bordon, biographie

- Né à Trévise en 1495.

- Fréquente l’école d’art du Titien qui commence à devenir célèbre pour ses portraits qu’on lui commande de toute l’Italie, puis de l’Europe entière.

- En 1516, il est nommé peintre officiel de la République de Venise et établit en 1518 un atelier sur le Grand Canal à Samsamuele.

- Développe son talent et passe sa vie à Venise tout en voyageant beaucoup en France et en Allemagne.

- En 1538, il est invité à la cour de François 1er qui lui commande de nombreux portraits.

- Il devient rapidement un rival de son maître Titien.

- Peint beaucoup de scènes de la Madone et des saints assis dans un paysage, mais aussi d’autres sujets religieux.

- Peint aussi une série de groupe de blondes, des figures féminines de belle taille comme dans le tableau « couple mythologique ».

- Meurt en janvier 1571 à Venise.

Symbolique et mythes

Le thème et les personnages de ce tableau sont mystérieux et la critique n’est pas unanime dans leur identification. Les tonalités fraîches et brillantes ainsi que le type de la figure féminine sont caractéristiques de Paris Bordon.

 

Symbolique des personnages

1ère hypothèse : Daphnis et Chloé

Daphnis, un chasseur, découvre un jour par hasard, dans un sanctuaire de l'île de Lesbos, un tableau représentant une allégorie de l'Amour. Après s'être fait expliquer le contenu du tableau par un guide local, il entreprend de composer un récit destiné à illustrer cette histoire, celle de Daphnis et Chloé. Tous deux ont été exposés à leur naissance, comme dans de nombreux mythes grecs, et ont été recueillis, nourris et élevés respectivement par une chèvre et une brebis, puis, grâce à l'aide de Pan et des Nymphes, qui veillent sans cesse sur eux, par deux familles de bergers. Daphnis garde ses chèvres, Chloé ses brebis, et les deux enfants grandissent ensemble dans l'amitié et l'innocence la plus sincère, sans rien connaître des mystères entourant leur naissance, qui ne leur seront dévoilés que bien plus tard, comme le veut la tradition littéraire. Peu à peu, poussés l'un vers l'autre par les dieux et le destin, ils voient leur attirance l'un pour l'autre grandir jour après jour, mais ignorent pour l'instant tout de l'amour qui les unit. Au hasard d'un baiser échangé sous un arbre, d'un bain pris ensemble dans une source, d'une promenade dans les pâturages, ils se découvrent peu à peu, mais n'osent encore rien se dire du bouleversement qui les affecte, et des sentiments qu'ils sentent naître et croître dans leur cœur. Or, un autre pâtre a jeté son dévolu sur la belle Chloé, et est bien résolu à l'épouser, quitte à devoir pour cela tuer Daphnis, qui ne sait encore rien du danger qui le guette...

 

2nde hypothèse : Flore

Flore est la déesse de la floraison printanière. Les courtisans de Venise, réputées pour leur beauté, leur élégance et leur culture aimaient se faire représenter sous ses traits. Bordon est le spécialiste, très apprécié à l’époque, de ces portraits à prétexte allégorique dot l’érotisme est avoué.

 

Sur les œuvres de Bordon, on remarque que la femme représentée est très similaire : vêtue d’un drapé blanc et rose, une chevelure frisée, nattée rousse avec un sein dénudé.

Trevisio 1500 , Paris Bordon, 1571

A Young Woman Holding a mirror with her Servant , Paris Bordon, 1540

Analyse graphique et choix plastiques

Bordon fait le choix d'encadrer sa toile dans un cercle lui même dans un carré, ce qui d'emblée révèle une intention cruciale : le spectateur est invité, tel un voyeur, à regarder à travers la serrure.

La gamme colorée sombre de la végétation en arrière plan confirme cette interprétation, il y a comme un zoom sur ce couple-cible.

Ainsi se forme une véritable dynamique autour de ce couple qui reste néanmoins séparé par la médiane verticale mais prend l'allure d'une figure unique.

Le peintre fait circuler notre regard avec ce jeu de bras qui les réunit. Tout d'abord au centre du tableau, une main sur le sein, puis des regards contraires, une main sur l'épaule, des bras. Nous retrouvons également l'aspect circulaire très marqué dans le détail des mains de l'homme et la femme qui partagent de la végétation.

La composition paraît simple au premier abord mais se révèle plus complexe quand nous focalisons notre regard sur le lien entre les deux personnages. Alors que l'homme pose un regard privilégié sur la femme (creux du cou), cette dernière détourne le regard : il semble sortir du tableau et même d'adresser à nous (le tableau est placé en hauteur). L'inclinaison des têtes et les regards fuyants nous interrogent sur la nature de la relation entre ces deux personnages.

Couleurs

Comment la lumière divise la couleur en plusieurs nuances pour rendre compte des volumes et modelés ?

 

Le peintre choisit le clair-obscur pour mettre en valeur les figures humaines du tableau. Le traitement plastique et pictural de la végétation vient troubler l'identification de l'homme et le met directement en rapport avec la nature. La teinte fond ou révèle.

Pour le choix des couleurs, la figure féminine est une fois de plus valorisée par Bordon, c'est elle qui détient les nuances les plus riches : camaïeu de rose, d'orangé (aussi le fait qu'elle porte un collier).

La carnation des personnages est différente, les tons sont plus clairs et rosé pour la femme tandis que l'homme a une peau qui tire vers le jaune.

Notre thématique des couleurs inséparables a orienté notre choix vers ce tableau : une dualité entre couleurs sombres (vert et bleu) et couleurs plus saturés ( rose et orangé) y est bien présente.

Dans ces couleurs nous retrouvons deux couleurs proches des couleurs primaires : le bleu/cyan et le rose/magenta tandis que le vert et le orange sont des couleurs secondaires. Ces propriétés participent à l'équilibre de ce quatuor inséparable. Nous pouvons faire l'expérience d'enlever une de ces quatre couleurs, l'harmonie disparaît aussitôt.

Lumière et textile

Comme on peut le remarquer sur ce zoom du tableau, le textile (qui pourrait s’apparenter à de la soie) capte la lumière sur les sommets des volumes tracé par le drapé. On observe également que le jeu de l’ombre et de la lumière qui se met en place sur le textile permet de créer pleins de nuances colorées et ainsi de faire apparaître un camaïeux avec une grande richesse de nuances.

Gamme colorée composée de camaïeux de roses, blanc, noirs.

Le rose qu’on disait autrefois « incarnat » (= couleur de chair). Porté par le romantisme, le rose a acquis sa symbolique au 18e siècle, celle de la tendresse, de la féminité, mais avec son versant négatif : la mièvrerie (l’expression « à l’eau de rose » date du 19e siècle).

 

Si l’on compare le textile utilisé pour le drapé de la femme et celui du vêtement masculin, on peut remarquer que celui de la femme est révélé par la lumière et celui de l’homme qui ne la capte pas du tout ou presque, viens se fondre dans la végétation de l’arrière-plan qui s’inscrit dans la même gamme colorée.

Nous vous invitons à faire cette expérience avec différents plissés que nous avons réalisés en les manipulant à la lumière pour voir comment celle-ci  interagit avec le textile et comment elle crée de nouvelles nuances de couleur sur ce textile.

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